Patrick Dekeyser écrit et réalise depuis 2002 des portraits filmés en vidéo. Il enregistre la parole de personnes choisies pour la singularité de leurs propos, et aussi pour ce que communique leur voix au-delà du langage, à travers la tessiture, le timbre, l’accent, les hésitations... Le document obtenu lui sert de matériau d’écriture qu’il malmène à travers un montage sonore. Dans un deuxième temps, il incarne devant la caméra l’individu qui exprime ce nouveau discours, ce qui donne vie à un personnage qui oscille entre documentaire et fiction, réalité et imaginaire. Ces vidéos qui peuvent apparaitre comme des autoportraits sont avant tout une sorte d’inventaire de caractères, une galerie de portraits évoquant différents aspects de la condition humaine.
Patrick Dekeyser nous montre avec Le lointain des profondeurs une vidéo à l’humour décapant dans laquelle il met en scène l’écart incommensurable entre dicible et visible, entre pensée et représentation, entre intention et action et il nous laisse au seuil de l’irreprésentable comme si nous n’étions, finalement, que les ventriloques du vide qui nous hante. (…)
Avec Mourir à la télévision, Patrick Dekeyser atteint un sommet de précision analytique sur l’écartèlement entre croire et dire dans lequel chacun des êtres parlants que nous sommes s’exténue à vivre. (…)
Avec Une petite trace, il poursuit son décryptage de nos blessures engendrées peut-être par les limites de la langue et l’obstination des êtres humains à rêver l’impossible. (…)
Parler de soi : un montage de micro-séquences jouées par l’auteur qui nous propose une image de nous-mêmes débordant d’humour, d’ironie, de drôlerie, que colorie une gravité emplie de nos impuissances indépassées. (…) Que veut la voix qui vocalise en nous, avec nous, par nous pour nous sinon profiter de ce que nous sommes, pour elle aussi exister ? À moins que ce ne soit le contraire, nous qui profitions de la voix pour exister un peu, et même un peu plus qu’un peu ? (…) Quant à nous, nous ne sommes pas tout à fait des je mais des hoquets hésitants, trébuchant sur le seuil du dire et laissant ainsi sentir combien parler, dire, c’est jouer à la voix comme on joue à la marelle. (…) Et c’est ainsi que se poursuit la longue marche de la voix à travers les corps qui fait de nous les pantins de mots et de fragments de phrases qui nous inventent à mesure même que nous les disons.
Jean-Louis Poitevin, TK-21 LaRevue, 2022-2023
Jean-Louis Poitevin est écrivain, critique d’art, commissaire d’expositions et docteur en philosophie.
Les trous de réalité, un des trésors qu'arrive à nous offrir Patrick Dekeyser avec les vies et les mots des autres. Il y apporte de petits riens essentiels, deux ou trois touches de costumes, quelques regards, un soupçon de mouvement qui donne de la chair aux mots, du sentiment aux choses. Il adopte une posture discrète qui "campe" l'esquisse d'un personnage ou l'écho d'une condition. Sous la douceur du ton, et dans les interstices de ce qui nous fait sourire, percent quelques abîmes qui nous habitent et quelques fêlures qui nous hantent. Dans ses journaux de l'intime collectif, dans cette neutralité relative du personnage il n'y a pas d'indifférence ou de condescendance mais plus un art qui laisse advenir en douceur l'écho de nos petites inquiétudes. Il met le doigt, ou plutôt le regard ou l'attention sur les anfractuosités de nos conditions et de nos vies. Il y a chez lui un mélange de Keaton (dans la tenue à distance de l'expressivité du personnage) et Devos (mais plus dans sa façon de mettre en forme et articuler les "extraits" qu'il sélectionne et agence) avec comme matière première plus un art du montage que de l'écriture au sens d'une fiction ; et un usage du son qui à la fois fait des individus des anonymes singuliers et des figures de notre condition humaine. Ces petites scènes de pensée en disent plus long sur la vie que bien des récits. On pourrait dans la famille "élargie" de Patrick Dekeyser croiser des personnes comme le regretté Eric Duyckaerts, ou des artistes comme Martin Le Chevallier, Julien Previeux ou Zouc.
Philippe Cyroulnik, 2022
Philippe Cyroulnik est critique d'art, commissaire d'expositions et ancien Directeur du Centre régional d'art contemporain Le 19, à Montbéliard
Patrick Dekeyser désigne ses courtes vidéos sous le nom de portraits. Elles le sont effectivement, puisque c’est l’artiste lui-même qui est filmé, en plan fixe, en buste, faisant face à l’objectif. Pour autant, ce ne sont pas des autoportraits puisque l’artiste interprète des personnages différents, dans des sortes de saynètes simultanément désopilantes et nostalgiques, comiques et tragiques, drôles et désespérées, burlesques et pathétiques… Elles nous montrent, l’une après l’autre, un de ces personnages, plus ou moins paumés, mais cependant singuliers, que l’on peut rencontrer quotidiennement, çà et là, en chair et en os ou dans le flot incontrôlable des informations déversées par la télévision.
Chaque vidéo relate une petite catastrophe aux conséquences provisoirement anodines, une défaite sans gloire ni combat, un anti-héroïsme du quotidien… Elle nous dépeint un univers où toute tentative d’échapper à la banalité est implacablement vouée à l’échec, abandonnée dans un état d’incomplétude irrémédiablement définitive : une sorte de panégyrique de la déficience résignée… La pensée, figée dans une lassitude existentielle, se heurte à la barrière de mots rétifs, incapables de se structurer en phrases complètes, perdant leur sens dans un flot verbal haché, sans cesse interrompu, repris et avorté.
Ce qui est donné à entendre est comme un degré zéro du langage, désossé pour n’en garder que l’essentiel, quasiment dénué de sens premier, mais d’où émerge une ligne musicale, une partition qui restitue l’essence du personnage mis en scène. Il y a, entre les mots prononcés et l’image une sorte de béance dans laquelle le spectateur peut se glisser pour y insérer ses propres propos, ses sentiments personnels ou ses expériences vécues. Ce que Patrick Dekeyser nous donne à voir n’est peut-être, après tout, qu’un miroir de notre propre impuissance à agir.
Louis Doucet
Les vidéos de Patrick Dekeyser sont une tentative de dire le presqu'indicible, dans l'interstice entre pensée et sentiment. Avec son œuvre Cantique, il nous propose un portrait sans parole, entre comique et tragique, où le sens est donné par la tonalité du chant qui s'est substitué au propos de l'artiste.
Il y a dans « les portraits » réalisés par Patrick Dekeyser quelque chose de l’ordre de la mélancolie. C’est un peu comme l’histoire du clown triste. On attribue à Karl Valentin cet aphorisme disant que l’humour est la forme élégante du désespoir. Dans ses vidéos on se retrouve sur le versant de la vie où ce serait les petits désastres qui composent le paysage. On est plongé dans un monde où les projets, les rêves n’arrivent pas à se réaliser, les choses pas vraiment à se construire. Les personnages sont ici en position de faiblesse fondamentale. Le comique vient du pathétique du personnage ou même de sa désolation. Les altérations de la voix la théâtralisent. Elles délégitiment l’ambition des propos ; et du coup produisent un décalage qui fait surgir le grotesque. Cela est accusé par la façon dont l’artiste substitue au visage de son modèle son propre visage et lui confère par ses expressions une nouvelle identité. On serait en symétrie avec l’univers d’un Buster Keaton. À l’impassibilité psychologique de celui-ci s’oppose ici la mobilité plastique du visage. Le son et le visage sont communs au sérieux des propos.
Les vidéos de Patrick Dekeyser nous placent sur le fil du rasoir entre burlesque et tragique. S’appropriant des personnes qu’il rencontre et fait parler, il se substitue à elles, s’en habite et essaye de rendre leur parfum, la saveur et le parfum de leur être, mais aussi quelque chose de presque indicible dans l’interstice entre la pensée et le sentiment. Ce, à travers une gestuelle corporelle et des mimiques qui forcent légèrement le trait tout en évitant la caricature. Mais dans la vidéo qu’il présente, Cantique, c’est d’un portrait sans parole qu’il s’agit puisqu’au propos s’est substituée la musicalité d’un chant, celui de la chanteuse Claire Bergerault. Par la modalité de présentation qu’il a choisie, celle du polyptyque, il nous propose une transcription polyphonique d’un corps en donnant du sens par la tonalité pure et ses modulations.
Philippe Cyroulnik
Dekeyser présentera une vidéo, ou deux. Cela semble paradoxal dans une expo sur le dessin, pour moi c'est le paradoxe du praticable. Il a fait des portraits ou des autoportraits, empruntant le genre d'autrui, très réussi et hilarant. L'autre vidéo "Le lointain des profondeurs" quel titre, où il semble décrire un dessin ou une peinture, en te regardant dans les yeux. Dekeyser c'est quelqu'un qui n'a pas su trouver le marchand de couleurs, pour acheter le matériel, mais le marchand de caméras vidéo. Alors il fait avec. Et on fera avec. C'est son rapport au dessin. De plus il est très drôle et sérieux, comme un artiste belge de Belgique.
Al Martin
Patrick Dekeyser choisit le versant gris du monde, avec une empathie presque désespérée pour les personnages qu'il évoque. À partit d'objets anodins mais "sentimentaux" et de fragments de propos se construisent ce qui seraient des petits riens nous rappelant d'un coup l'incommensurable tragédie du quotidien. Ses assemblages ont quelque chose d'un ex-voto pour mécréant. Ils sont les hiéroglyphes de vies aussi dérisoires qu'émouvantes et d'un monde où le bonheur est à l'ombre de la mort. On pense à une sorte de conversation entre Tati et Beckett.
Philippe Cyroulnik
Plusieurs années après le décès de ma mère, j'ai retrouvé au fond d'un de mes placards un pot de confiture qu'elle avait préparé. Frappé par la forme de l'objet, ses flancs arrondis, j'ai eu instantanément l'impression de tenir entre mes mains une urne funéraire contenant ses restes. J'ai décidé alors de montrer ce pot sous une vitrine, en l'associant à un mot écrit lui aussi par ma mère, une liste de courses, qui représente pour moi un message posthume qu'elle m'adresse. Une plaque a été posée à la base de l'œuvre pour la nommer, afin qu'un dialogue s'instaure entre l’objet, la pensée sous forme d’écriture, et le titre donné.
Ainsi, la mise en relation d'une trace écrite et d'un objet confère aux souvenirs intimes une dimension universelle. Un pot de confiture devient une urne funéraire, une liste de course un haïku. Le titre prend ici valeur d'épitaphe.
Sur ce principe, j'ai réalisé une douzaine de vitrines rassemblant chacune un objet et un mot manuscrit qui m'ont été donnés par un habitant de Fresnes.
Patrick Dekeyser
Ah nom de dieu ! *
*extrait de la première vidéo de l’artiste
Si nous ne pouvons retrouver le nom de dieu ni le nommer une bonne fois pour toutes, lui donner un prénom, voilà la solution : les existences vont trouver matière dans le commentaire et ses discours, aux cent vies et aux familles innombrables. Paule P., Yves L., Pierrette B., Assia C., Anonyme, Danièle M., Annie B., Anonyme, Jean-Pascal B., Camille R., Anonyme. Trois vitrines non signées et les autres qui livrent les prénoms et l’initiale des personnes.
Patrick Dekeyser, fort d’une année passée dans les rues et les quartiers de Fresnes à rencontrer des « gens », à travers des projets d’interviews et d’offrandes et des trouvailles opportunes, a tenté une réussite, a misé sur la chance pour parvenir à ses fins. Des « portraits » peut-être, d’habitants, de fresnois pourquoi pas, qui parlent de tout le monde, avec la gravité des choses légères et incommensurables : les petits secrets de tout un chacun.
Ces « rencontres », meeting (entreprise ou politique, de débats, de discussions : idées sur l’existence) ou encounter (une rencontre avec un « étranger », l’étrange, qu’on ne reconnaît pas) sont volontairement filées au gré des conversations possibles, entre deux individus et des objets. Les objets de ma visite, les objets qu’on garde chez soi et qu’on collectionne. Il faut trouver un terrain d’entente, afin que l’étranger nous délivre la familiarité des objets et des mots assis à ses côtés.
Conversations de chaises vides: à attendre que les objets parlent, à travers l’autre et la déambulation, d’un lieu public à l’ascenseur d’immeuble et à l’invite. Quelqu’un vous reçoit avec du thé ou de quoi fumer un peu. On s’assoit ou l’on reste debout, et l’on attend. On provoque. Par la persistance à farfouiller dans la vie, en poussant les limites de l’intimité secrète, qui jalonne l’intérieur ou parcourt la ville. On ne reconnaît pas sa glane, sa propre histoire. Pourtant elle continue. Elle insiste.
Aussi les vitrines sont des résurgences de ces rencontres impromptues : du temps passé avec quelqu’un, chez lui, à enregistrer sa voix, à attendre que le charme opère, que la transmutation fasse effet, sur sa vie, et pourquoi pas, jusqu’au cadeau. Patrick Dekeyser repart avec un objet en poche, un petit quelque chose qui appartient à la personne interviewée. En échange, lui aussi se prêtera au jeu de l’offrande et reviendra peut-être.
Il y a ces pêches au hasard des objets et des messages livrés là, dans l’espace public, par terre, dans un buisson, sur une devanture : un flacon en plastique pour faire des bulles, une annonce griffonnée soigneusement, communication « illicite » au stylo-bille, avec coordonnées et numéro de téléphone portable.
Les vitrines ensuite ne retracent nullement la généalogie de ces déambulations, objets de ma visite : l’artiste est au cœur du dispositif. Il n’a pas peur d’évoquer une mythologie insulaire, avec son appareil enregistreur et le fait de traîner ; insularité de sa personne et des autres tels qu’ils apparaissent selon leurs dires et ce qu’ils ont bien voulu en donner. Dans le plaisir de créer des associations succinctes de réel et de sens, réunies sous une même appellation, chosifiées par un titre inscrit sur une plaque de métal, comme au musée ou au cabinet de curiosités (Tour d’horizon, avec le nom de la personne, Jean-Pascal B.). Qui de Jean-Pascal B. ou de l’artiste fait le tour de l’autre ? On se demande. L’identité intime de Jean-Pascal B. est-elle inscrite dans son nom et prénom ou dans le titre donné par l’artiste à la vitrine, rapprochement éclectique d’une chose et d’une note, provenant de la même personne. Qui de la vitrine ou de Jean-Pascal B. sont le plus « bonhomme » ?
Le petit objet et la vie d’une personne condensée en une expression qu’elle aura elle-même écrite, sous l’impulsion de l’artiste, nous offrent le présent en guise d’autoportrait. Avec Jean-Pascal B. : « je pense qu’il y a derrière ces murs beaucoup de souffrances et de vies cabossées ».
Les individus sont pris au sérieux, dans leur amusement et démembrement secrets, leur recul par rapport à ce qu’il reste potentiellement de leur vie, un discours. Autre exemple, la cuillère de Camille R., la vitrine associant une longue cuillère en bois face tournée vers le bas, avec cette phrase : « trop gentille. le fardeau de l’humanité sur le dos » {sic}
Ces condensés dadaïstes sont aussi précis et soignés que les présentations mouvantes du « Musée d’art moderne/Département des Aigles» de Marcel Broodthaers (« fiction » de musée autoproclamée par l’artiste belge, ayant pris forme de 1968 à 1972 dans différents lieux, de son appartement aux grandes institutions muséales européennes).
Ils prennent leur origine dans un hommage que Patrick Dekeyser a rendu à sa mère, comme il s’en explique dans l’entretien que la Macc lui a consacré : d’une part, s’y mettre en scène à travers l’image vidéo, puisqu’il était le seul à ne pas avoir été filmé, dans les films de famille dont il était visiblement l’instigateur. D’autre part, cette vitrine, première en son espèce, « Le Pot d’adieu, Marie Augusta Laforgerie 1925-2002 » contient un pot de confiture et une note de courses écrite à la main, « des raisins noirs 4 danettes café, et si quelque chose te plait ? » {sic}. Vitrine hommage ou épitaphe des rituels du quotidien, de notre société de consommation conservatrice : une boîte ethnocentrique qui tourne sur elle-même comme les « rhodoïds » de Marcel Duchamp. Qui ne délivre rien des affects de l’artiste si ce n’est cette pulsion de conserver les restes de sa mère, qui ne sont pas des reliques de sainte, mais presque, dans sa relation à la marchandise, donc à la survie essentielle, celle de produire des objets et les éléments de communication qui vont avec.
Certains philosophes en ont appelé à une critique de la « fétichisation ». Theodor W. Adorno évoquait « le caractère fétiche dans la musique » (1938), de ces morceaux enregistrés et diffusés pour la consommation de masse, qui relevaient d’un répertoire déjà constitué et traditionnel autant que des nouveautés. L’industrie musicale crée ses propres morceaux. Ils possèdent les caractéristiques de l’immédiateté. Car ils n’existent pas sans cette répétition d’un intangible, de quelque chose de profondément singulier, notre conscience renchérie par la marchandise. Ainsi nos désirs, nos pulsions sont intrinsèquement portées par ce qui vient confirmer l’objet dans son caractère marchand plutôt que dans sa forme véritable.
Selon un procédé situationniste, la forme est laissée à notre appréciation dans le travail de Patrick Dekeyser : une initiale (un « commencement » en latin). Que ce soit dans son travail de voix, de vidéo ou de vitrine, le matériau premier est valorisé pour les qualités de son site, d’où se situe-t-il, dans la « vraie » vie, grâce aux dérapages du discours, incompressibles dans l’espace et dans le temps : il a fallu le trouver, le fil conducteur.
Révélée par le montage, la parole enregistrée est découpée afin d’être agencée différemment, alors même que sa quintessence persiste, sous les dehors décousus de l’absurde : n’y a-t-il pas cette femme qui ne sort jamais de chez elle, qui se lance dans un éloge des transports en commun ? Autant que dans le play-back des vidéos interprétées par un seul figurant, l’artiste, il y a donc bien un « commencement ». Et les petits écrits et les objets, ces informations si précieuses, lui ont été remises en mains propres. Il s’est passé quelque chose, ce que Patrick Dekeyser incarne. Il n’y a pas de destin en-dehors de cette farce.
Céline Leturcq
Patrick Dekeyser pratique un art tout à fait personnel et assez inédit en son genre : le kidnapping vocal. L’oreille perpétuellement aux aguets, il circule sur les ondes toujours à l’affût de LA voix. La voix humaine, tout simplement, celle qui plastronne, qui envahit l’espace, omnipotente et omnisciente dans son humanité de voix. Une fois identifiée, Patrick Dekeyser va alors la subtiliser, non pas pour l’échantillonner, mais pour la soumettre à un régime sévère, charcutage et distorsions, de façon à ce qu’elle lâche prise et qu’exténuée, enfin, il puisse l’ingérer et se l’approprier.
Aucune demande de rançon à ce kidnapping : Patrick Dekeyser ne cherche pas la facilité, cette facilité qui consisterait par l’imitation chansonnière ou le détournement parodique à se faire un nom sur la renommée, réelle ou présumée, d’une voix. Si quart d’heure de gloire, il doit avoir, Patrick Dekeyser l’aura le jour où, tel Fantômas aux mille visages ou Fregoli le caméléon, il sera célébré pour sa parfaite ubiquité, cette façon très subreptice qu’il a, à n’importe quel moment, en n’importe quel lieu, de se glisser dans la voix d’autrui.
Le kidnapping vocal, on s’en doute, est une activité qui ne va pas sans risques. Dans cette partie de bras de fer qui se joue à chaque fois qu’il s’efforce de faire céder une voix à son avantage, Patrick Dekeyser y va de sa personne. Concrètement, physiquement. Son visage, son corps s’atomisent, se disloquent, s’éparpillent. Et de cette singulière émulsion qui s‘instaure entre Patrick Dekeyser et LA voix, entre le kidnappeur et son otage, se dégage alors pour l’observateur extérieur une inquiétante et familière sensation d’étrangeté.
Gwennolé Laurent